L’invention des ādāb : « innovations » soufies et monachisme dans l’exégèse du verset 57 : 27 du Coran
Abstract
Cet article examine quelques aspects de l’histoire de la réception du verset 57 :27 du Coran, où il est question de l'"invention du monachisme (rahbāniyya)" par les Chrétiens. L’analyse du tafsīr permet de dire que la notion de rahbāniyya a joué un rôle exemplaire pour une pluralité de phénomènes islamiques, qui ne se limitent pas au domaine de la spiritualité, mais investissent également la pensée légale et politique. Les questions abordées par l’exégèse coranique concernent en même temps la nature de la piété et les représentations de soi, les fondements de l’éthique et l’identité religieuse. On y retrouve l’écho des débats à plusieurs voix qui accompagnent le monachisme depuis sa naissance. La voix de l’islam, qui s’ajoute à ces débats à la fin de l’Antiquité tardive, est à son tour plurielle. Les interprétations de Q 57 :27 croisent les grandes questions du kalām et des uṣūl al-fiqh. L’« invention » de la rahbāniyya renvoie au problème théologique de la création des actes: peut-on concevoir la « vertu » comme un « pouvoir » que Dieu a donné à l’homme? Elle renvoie en même temps à la question du rôle de la raison dans la détermination de la loi : les institutions post-prophétiques, sont-elles purement humaines et arbitraires, ou ont-elles un fondement dans la sagesse divine ? Les réponses à ces questions comportent des visions très différentes de l’éthique islamique. Le contraste ressort de la façon la plus claire en comparant les interprétations de Q 57 :27 chez Ibn ‘Arabī et Ibn Taymiyya : selon Ibn ‘Arabī, le Coran loue la rahbāniyya, ce qui suggère qu’il existe un « bien en soi », dont l’homme peut avoir connaissance, même en absence d’une révélation directe ; selon Ibn Taymiyya, à l’opposé, le Coran condamne la rahbāniyya, ce qui confirme que le « bien » est entièrement circonscrit par la sharī‘a et la Sunna du Prophète. La lecture croisée des commentaires nous met ainsi sous les yeux une sorte de compendium du débat islamique sur l’éthique. On retrouve cet éventail d’idées dans l’exégèse soufie, qui reflète la richesse d’approches de l’ensemble des autres courants exégétiques: l’humanisme religieux d’Ibn ‘Arabī se rapproche de l’éthique philosophique; la justification juridique de l’institution des règles soufies reprend les argumentations des théologiens-juristes ; à l’opposé, chez Rūzbihān Baqlī, qui voit dans la Sunna de Muḥammad et de ses Compagnons la seule voie de perfection, on retrouve une version « mystique » du réformisme sunnite. Enfin, l’exégèse soufie reprend aussi à son compte la vocation harmonisatrice qui caractérise la position nuancée du tafsīr classique. Celui-ci, par les récits traditionnels sur les origines du monachisme, suggère que la fidélité au modèle prophétique et l’institution des nouvelles règles ne sont pas forcément contradictoires, mais que l’écart de la forme de vie de la communauté des origines est l’effet d’une crise historique qui a imposé des changements. Comme tout débat sur l’identité, le débat de l’islam sur le monachisme est un débat intérieur, mais habité par l’« autre ». Il ne nous renseigne pas simplement sur le fait que l’éthique islamique se définit pas contraste ou par similitude avec l’éthique chrétienne. Le monachisme ne se réduit pas simplement au christianisme : il pose problème justement parce que, dans la vision islamique de l’histoire, il se situe quelque part entre le dīn ‘Īsā et la naṣrāniyya : entre une religion « vraie », mais qui appartient à un autre cycle de la révéla
Autore Pugliese
Tutti gli autori
-
S. Pagani
Titolo volume/Rivista
Islamic Literatures: Texts and Studies
Anno di pubblicazione
2016
ISSN
2214-6601
ISBN
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